POESIES DE PAUL BREZZI




 Je m'étais éveillé par une nuit sereine

Je m'étais éveillé par une nuit sereine,
Une nuit du mois d'août aux parfums énivrants
La lune, dans le ciel, semblable à une reine,
Répandait sa lueur sur les astres mourants
Alors je m'approchai de la fenêtre ouverte
Et scrutai cette nuit  : La campagne déserte
Après un dur labeur connaissait le repos ;
Tout était silencieux, seuls de lointains échos
Répétaient lentement le chant de la grenouille ...
Un sentiment de paix profonde m'envahit
Et je rêvais d'un monde où le trouble et la brouille
Seraient bannis à tout jamais ; où l'on comprit
Que le travail est seul une lutte équitable
Et que notre devoir est d'être charitable ;
Où les Hommes unis par un lien fraternel
Acclameraient la paix et béniraient le ciel ;
Ils auraient, réunis dans un commun effort,
Un bonheur éternel et une heureuse mort ...
Mais je rêvais hélas ! et le rêve est chimère !

Dans la chambre à côté ronflait ma belle-mère !



Cher Laumonier, ...

Cher Laumonier, un jour, peut être,
Tu iras à la Faculté des Lettres
Faire passer les examens, et par hasard,
tu trouveras un candidat
Au baccalauréat, qui de Ronsard
Ne connaîtra l'alpha ni l'oméga.
Alors, prenant ton air que tu prends d'ordinaire,
Devant le malheureux ignorant le latin,
Prenant ton air sévère,
Tu t'écriras soudain :
" Hic, illico, écoutez moi ;
" Ignorer tout du Vendômois ! ...
" Ad vitam aeternam sa mémoire demeure,
" Vous comprenez, a fortiori,
" Que la plupart de ses écrits
" Ne meurent
" In secula seculorum.
" Prenez ses vers, ad libitum,
" Et lisez les in extenso.
" Dès le début, surtout, mettez
" Le seul ton ad hoc, s'il vous plait
" Et, sans aller jusqu'au verso
" Mirabile dictu ! Ce qui vous frappera
" a priori ce ne sera
" Que de la poésie.
" Par pure fantaisie
" Il créa la Pléiade et en devint le chef
" Jure et facto. Enfin, bref,
" Il a chanté Cassandre Salviati
" Car il l'aima dès qu'il l'a vit ;
" Mais il voulu la voir in naturalibus,
" Et l'inhumaine refusa ;
" Ce fut un vrai casus-
" Belli ; Ronsard bientôt se ravisa
" Alea jacta est, se dit-il in petto,
" Puis sans paraître trop marri
" Se consola avec Marie
" Et lui promis le conjugo ...
" Et caetera ... et caetera ...
" Ecce homo ", tu conclueras.

Tu parleras ainsi au futur bachelier ;
Mais moi qui n'ai jamais appris toutes ces choses,
J'ai été obligé d'ouvrir pour en parler
Mon dictionnaire Larousse aux pages roses.
 


 Gloire soit à la compagnie !

Gloire soit à la compagnie !
- De quoi s'agit-il, je vous prie ? ...
- De la compagnie des Tramways
Electriques et Omnibus Bordelais.
Gloire soit à la Compagnie
Qui nous gâte, qui nous chérit,
Et nous comble de ses bienfaits
Gloire à la Compagnie des Tramways.

On nous promets monts et merveille ;
C'est à ne pas en croire ses oreilles !
On nous promet de supprimer
Le matériel usé et périmé
Et de nous donner en échange
- Il parait que nous ne perdrons pas au change -
( C'est ma concierge qui me l'a dit ! ) -
Des voitures dernier cri
Où les vitres se baisseront
En tournant une manivelle
Et où, pour sonner, nous n'aurons
Point à tirer de ficelle ;
Car la sonnette électrique,
Plus discrète, plus pratique,
Ira se généralisant.
Les parquets seront cirés et reluisants,
Et les coussins garnis de plumes ...
- Sans rancune
Pour les vieux coussins à ressorts
Qui désormais pour nous sont morts !
- Mais que de bienveillance
Par souci de notre ... bienséance ! ... -
Et que d'accidents évités,
Que de chocs et que de coups,
Grace à cette nouveauté :
Les freins sur les quatre roues ! ...
En hiver, dans la rue et sur les grands boulevards,
La pluie et le brouillard
Gênaient fort les wattmen
Qui y voyaient à peine
Et faisaient la grimace :
Ils auront maintenant des essuie-glaces
Ils ont vécus les tramways jaunes,
Jaunes comme les eaux de la Garonne !
Ils vont disparaître à jamais :
Le jaune ne convient pas aux Bordelais !
- Seront-ils verts ? - Ah ! non merci !
Laissons cela, je vous en prie
A nos amis les banlieusards ;
Vert olive ou vert épinard ! ...
- Seront-ils blancs ? - Pas plus, je pense.
Laissons cela à la conscience
Et à l'âme des receveuses
Accommodantes, gracieuses ...
- Seront-ils bleus ? - Rassurez-vous,
Je ne me moque pas de vous,
Vous vous disiez déjà : " Parbleu,
Je m'en doutais, ça passe au bleu ! "
- Rouge alors ? - Peut-être bien ...
Mais personne n'en sait rien.
C'est une chose qu'on ignore ...
Nos tramways seront-ils des tramways tricolores ? ...
Nous n'y verrons pas, je suppose,
De réclame pour le "Bitter Chose"
Ou pour le "goudron machin" ...
- C'est certain ! -
Ce serait vraiment mal faire
Que d’abîmer ce sanctuaire !
Mais nous y verrons affiché
Au milieu d'enluminure :
"Il est défendu de marcher
Sur le parquet de la voiture".



 L'autre soir, dans le parc.

L'autre soir dans le parc, la légère fumée
De votre cigarette accompagnant nos pas,
Comme je vous disais ... Quoi donc ? ... Je ne sais pas ! ...
Je sentis sur ma joue votre main parfumée.

Cependant que la lune au ciel s'est enflammée
Et rit avec malice en regardant en bas,
Je me suis mis à sourire et repris votre bras...
Voyez, ma joue en est encor toute embaumée ! ...

Était-ce un châtiment ? était-ce une caresse ?
Était-ce alors, que sais-je, une vague promesse ?
Ah ! C'est ce doux parfum qu'il faut que je retienne ! ...

Maintenant, chère amie, sachez que dès demain
Plus jamais ne prendrai ma douche quotidienne
Pour garder plus longtemps l'odeur de votre main.



 Les escargots ...

Les escargots, comme les hommes,
Ont leurs opinions, et en somme,
Cela se conçoit aisément :
Un escargot de Bourgogne
Peut penser tout autrement
Qu'un escargot de Gascogne,
Qu'un escargot de Caudéran.
Or, l'un d'eux - je ne sais s'il était de Bourgogne
Ou bien de Caudéran ! ...
L'un d'eux affichait sans vergogne
Avec désinvolture et fort impudemment
Ses théories extrémistes ;
Et, bien triste,
La famille écoutait parler avec effroi
Celui que ses pareils montraient du doigt
L'appelant révolutionnaire,
Libertaire ;
Car d'ordinaire,
Ne progressant qu'avec lenteur
C'est un peuple conservateur.
- " Mais, après tout, est-ce logique ? ..."
De ne pas être mieux vêtu,
Ni mieux logé, ni mieux nourri qu'au tout début
De l'époque géologique,
Et tandis que ses camarades
Allaient se promener la nuit sur les salades,
Notre leader dormait,
Disant que le travail de nuit
Tant pour les escargots que pour les boulangers
Devait être proscrit.
J'ajouterais, d'ailleurs, qu'il avait adopté
Avec joie l'heure d'été.
Or, il advint un jour
Que dans un potager, faisant un petit tour,
Il sentit sur son dos
Le talon d'un lourdaud
Qui broya sa coquille ...
- Lui qui s'en allait si tranquille ! -
Pourtant, par un hasard que l'on explique mal,
Il eut plus de peur que de mal.
Laissant les morceaux par terre,
Tout nu, il rentra chez son père,
Honteux et rougissant comme l'enfant prodigue
Il se laissa tomber accablé de fatigue.
On murmurait autour de lui :
" Cette leçon aura servie
Et je gage
Que désormais il sera sage
Qu'il suivra l'exemple des vieux."
A ces mots, il ouvrit les yeux
Et leur dit avec un sourire :
" Vous pensiez donc, amis, me convertir ? ...
Je ne me rendrai point, pourtant, à vos raisons :
On a démoli ma maison ?
Soit : foin de la routine et vive le progrès :
Je la reconstruirai, mais en ciment armé !



 Jeanine

Je vois venir vers moi la petite Jeanine
Tenant dans ses deux mains une énorme tartine
Qu'elle mord à belles dents.
Moralité :
    La petite vient en mangeant.



 Le monde où nous vivons.


Le monde où nous vivons est tellement bizarre
Que rien ne m'étonne plus.
Et tu pourrais facilement me faire croire
Les choses les plus imprévues ! ...
Si tu me disais que la terre
N'est plus ronde, mais carrée
Qu'elle compte quatre hémisphères
Ou cinq même, je le croirais ...
Si tu me disais qu'une poire
A mûri sur un marronnier,
Une pêche sur un prunier,
Je pourrais sans peine le croire ! ...
Si tu me disais qu'à la nage,
L'Atlantique fut traversé
Par quelque Américain plein de courage,
Qui, n'étant pas assez satisfait de la performance
Aurait contourné la France
Et serait rentré au port
En passant par la Mer du Nord ...
Eh bien ! Je le croirais encore ...
Si tu vantais l'Ad-mi-nis-tra-tion
Si tu me racontais que la réception
Du receveur fut fort aimable,
Ou encore que la perception
Du percepteur fut raisonnable ...
Que l'on a réduit les impôts,
Que l'Amérique a fait cadeau
A ses anciens amis de leurs dettes de guerre,
Que l'on a vaincu la vie chère,
Que Cécile Sorel vient d'avoir un bébé,
Que le pont-transbordeur est enfin terminé,
Que les Hommes s'aimant comme s'aiment des frères,
Ont, désormais, banni tout recours à la guerre ...
Je le croirais, je le croirais ! ...
Cela n'est pas inadmissible ! ...
Mais, si un jour tu me disais,
Qu'une femme a gardé un quart d'heure un secret,
Je répondrais : " C'est impossible ! "
Et jamais je ne te croirais !



 Histoire de gogo !

Je refermerai donc toujours avec tristesse
Ces éternels journaux
Et j'y retrouverai sans cesse
Quelque histoire de gogo ! :
Une histoire - toujours la même -
Où certain financier véreux
A l'aide d'un stratagème
Plus ou moins ingénieux
Parvient à remplir sa caisse
Et ne laisse
Dans celle de ses victimes
Plus un centime ! ...
Que de capitaux absorbés
Par les " Renards argentés ! " ...
Point de renards avez-vous dit
Point de renards ? mais si, mais si :
Les renards
Furent ces financiers roublards
Qui, si facilement, vous ont roulé
Et qui en "s'argentant" vous ont ... désargenté ! ...
- Pour ma part, je suis bien aise
De n'avoir pas souscrit aux " Porcheries Françaises "*
Car il n'y avait pas l'ombre d'un seul cochon...
- Pas de cochon ? pardon, pardon !
Et ceux qui t'ont roulé, dis moi, qu'en fais-tu donc ? ...
Poires, gogos ; gogos et poires
- Il y en a, c'est à ne pas y croire ! ...
Gogos, poires ; poires et gogos
- Il y en a trop, il y en a trop !
De tout temps le contribuable
Français fut saigné à blanc ;
De tout temps d'un air misérable
Il payait encore, et pourtant
Impôt, taxe ; taxe et impôt
- Le contribuable a bon dos  ! -
Taxe, impôt ; impôt et taxe
Ayez pitié de nous, de grâce ! -
Et le poirier, avec douleur,
Voit tomber, résigné, une à une ses poires,
Victimes de trop de candeur ...
... Et c'est toujours la même histoire.

Ne verra-t-on jamais une poire rebelle ?
La douleur du poirier sera donc éternelle ? ...

* Porcheries françaises : scandale industriel d'élevage de porcs en janvier 1929



 Elles.

Elles ont commencé par couper leurs cheveux
Très courts, beaucoup trop courts, bien plus courts que les nôtres,
C'était déjà osé, mais ça l'était bien peu :
Nous allions, par la suite en voir bien d'autres ! ...
Elles ont pris tout aussitôt
Nos cravates, nos pyjamas, notre "mégot" ...
Elles ont pratiqué les sports :
Boxe, football, routing, footing, courses d'autos,
Et leur beauté, hélas, ne sera plus bientôt
Que dans les biceps les plus forts ! ...
- Des avocats admirables
Ont un succès considérable,
Et montrent partout et à tous
Qu'elles savent parler bien plus longtemps que nous ...
- Il ne leur manquait plus que de se mettre en tête
De nous ^rendre nos chaussettes !
Or, voilà qui est fait : dans les rues on peut voir
Des chevilles gantées de gris, de blanc, de noir ...
( Au fait, m'avait-on pas parlé
D'orner de bas de soie nos masculins mollets ?)
- Quand la femme votera
Et qu'elle sera député,
Notaire, huissier, avoué ...
Qu'est ce qu'il nous restera ? ...

Femme, chaque jour davantage,
Tu deviens homme, et je gage
Que tu seras bientôt homme complètement !
Et c'est pourquoi, évidemment,
Ton ironie, ô humoriste,
Te qualifie ... de féministe !



 La glacière

Quand aurons-nous la pluie et le vent dans la serre ?
"Serres chaudes" (Materlinck)
Avez-vous contemplé, parfois une glacière,
Et savez-vous s'il peut se faire
Que le même vocable
Désigne indifféremment
Des choses si dissemblables ? ...
Car s'il en est, évidemment
Qui peuvent contenir aisément des douzaines
De boeufs entiers, de veaux, de vaches, de cochons,
Il en est - ne dites pas non ! -
Qui ne contiennent qu'à grand' peine
Le poulet que Victoire a tué
Ou les fromages blancs qu'Ursule a achetés ! ...
Il y a la vieille glacière
Telle que l'employaient nos pères
Il y a la glacière électrique
Plus moderne, plus pratique ;
Il en est en bois blanc peint
En noyer, en chêne, en pitchpin ;
Il en est qu'on fixe au mur avec des clous,
Il en est que l'on transporte un peu partout
Grâce à des roulettes complices
Selon les besoins du service.
Mais dans toutes, quelles qu'elles soient,
Qu'il fait froid, mon Dieu, qu'il fait froid ! ...
Plus d'un beafteck s'est plaint de la température,
Les soles à leur tour, ont maudit la froidure,
Le foie de veau lui-même a murmuré : "assez !"
Mais ils sont tous restés frigorifiés, glacés,
Immobiles, des jours, des semaines entières ! ...
Ah ! Quand donc fera-t-on du feu dans les glacières ? ...



 Un beau jour, fatigué
Un beau jour, fatigué des bruits de notre ville,
Des tramways et des taxis,
Souhaitant un endroit plus tranquille,
Laissant loin de moi les ennuis,
Les ennuis journaliers, la fièvre des affaires,
J'ai gagné la campagne au calme reposant,
Et là, n'ayant rien d'autre à faire,
J'ai joui de la paix des champs ...
Une vache était là qui broutait l'herbe fraîche ;
elle avançait tranquillement,
Et comme elle approchait je pris un air revêche ;
Elle jeta sur moi un regard nonchalant ...
Puis elle m'adressa la parole en ces termes :
Ô homme ! Je te plains ! Car ton esprit renferme,
Bien qu'étroit, tant de haine et tant de vils soucis,
Que ton visage en est constamment obscurci ! ...
Pour un oui, pour un non, pour tout tu te tracasses,
Ton sourire n'est plus qu'une horrible grimace ! ...
- La mode t'impose sa loi,
Tu te soumets à son caprice.
Elle dit : " Que tes cheveux soient
Bruns ou blonds, ondulés ou lisses,
Porte un veston azur, des pantalons grenats,
Mets un chapeau ou n'en mets pas ... "
Et tu obéis sans rien dire ...
Pauvre pantin, pauvre martyr ! ...
Que de fois tu t'es disputé
Sans raison avec tes semblables ;
Que de guerres ont résulté
De motifs par trop misérables !
Car tu ne peux rester plus de huit jours en paix ...
... Suis-je paisible moi ! Regarde un peu, je pais ...
Je n'ai pas de tracas, de bonheur je suis ivre !
Car paître est mon moyen et ma raison de vivre,
Mon seul souci et ma préoccupation.
Paître ou ne pas paître, That is the question !



 Un kangourou se lamentait

Un kangourou se lamentait
(Mais dites-moi donc au fait :
N'appelle-t-on pas la femelle
Du kangourou : la "kangourelle "?)
Il disait : "Les négresses du Congo
"Mettent leurs enfants sur leur dos
"Dans un sac ou dans une poche
"c'est, j'en conviens plutôt moche
"Mais c'est pratique au plus haut point ; tandis que nous
"Nous sarigues ou kangourous,
"Avons, solution élégante
"Mais gênante
"La manie de cacher notre progéniture
"Dans un pli de notre fourrure.
"Notre marmaille, au moindre bruit,
" Tend l'oreille et s'enfuit
"Et, comme un seul homme, rentre.
"Ça facilite, évidemment,
"Beaucoup le rassemblement ;
"Mais comme la poche baille
"J'ai peur de laisser choir mes fils dans les broussailles :
"Je n'ose plus courir, faire le moindre bond"
Avouez que cela était bien triste au fond !...
Ayant longtemps cherché la solution propice
A mettre un terme à ses soucis,
La pauvre bête, enfin, trouva ceci :
"Bouchons, dit-elle, l'orifice
"Et pour ce faire, cousons
"Un, deux et même trois boutons,
"Confectionnons des boutonnières."
Et très fière,
Elle montrait à tous cette innovation
Supprimant les précautions.
... Mais elle n'en pris pas assez ! ...
Cependant que, plein de malice,
Les petits kangourous passaient
Leur tête par les interstices,
Leur mère courait, gambadait,
Mettant à mal les boutonnières ...
Son travail était à refaire...
Mais il fallait trouver, cette fois beaucoup mieux,
Et notre animal ingénieux
En quête d'une solution
Répéta plusieurs fois avec obstination
Sa devise "Vaincre ou mourir"
Et de ce pas s'en fut quérir
Au plus proche magasin de nouveautés
Une fermeture-éclair brevetée !



 Noël

Tous les ans un sapin se dressait dans le temple
- Un sapin qui, parfois, ressemblait à un if !.. -
Nous y travaillions tous et, pour donner l'exemple,
Le pasteur concevait, d'un esprit inventif,
Un ange revêtu d'une tunique ... blanche
Qu'il tirait chaque fois de son coin poussiéreux
Pour accrocher là-haut sur la dernière branche
... Et ce jour-là était pour tous un jour heureux.
Notre arbre de Noël brillait de mille flammes
Et les petits enfants écarquillaient les yeux,
Ils chantaient de bon cœur et de toute leur âme,
Leur cantique d'amour s'envolait vers les cieux.
J'aimais voir ces enfants, d'aucuns étaient tout roses
De plaisir et d'émoi ; même les plus moroses
En recevant bonbons, chocolats, petits pains
Souriaient d'un sourire embarrassé, étrange...
Je m'amusais beaucoup de ces petites mains
Qui se tendaient vers moi pour avoir une orange!..

J'ai revu le sapin, cette année, mais en rêve !
- Car c'était un sapin, ce n'était pas un if !.. -
Un sapin qui semblait, dans ma vision brève,
Garni et décoré avec un soin naïf :
Il y avait toujours l'ange à la robe sale
Il y avait toujours des enfants frais , des pales,
Des enfants turbulents, des enfants en émoi,
Dont les yeux reflétaient une joie sans mélange
Mais leur petites mains ne s'ouvraient plus vers moi
Car ce n'était plus moi qui donnais les oranges.

Noël 1929